Deux questions se posaient, dimanche, après l'avancée foudroyante des
rebelles touaregs qui se sont emparés, en trois jours, des trois
grandes cités de la moitié septentrionale du Mali,
Kidal, Gao et Tombouctou, la ville aux "333 saints". La première : ces
groupes rebelles ont-ils l'intention - et la possibilité - de pousser
leur avantage en direction de Bamako, la capitale ? La seconde : quel
lien unit les différents groupes rebelles ? En clair, le Mouvement
national de libération de l'Azawad (MNLA), officiellement laïque, et
Ansar Dine, le groupe islamiste du chef touareg Iyad Ag Ghaly, sont-ils
alliés ou rivaux ? Vont-ils, demain, entrer en conflit ?
Quarante-huit
heures après la prise de Tombouctou, les groupes rebelles ont, dans
l'immédiat, arrêté leur descente vers le sud. Le MNLA, dont l'objectif
est l'indépendance de l'Azawad, le pays touareg (nord et nord-ouest du
pays), n'a jamais revendiqué la moitié sud du Mali, bien que des
populations touarègues vivent dans les cercles (une subdivision
territoriale) des environs de Mopti, la première ville à quelques
centaines de kilomètres au sud de Tombouctou (le Mali est grand comme
deux fois la France). Des mouvements rebelles auraient été constatés
dans ces zones, déclarait Henri de Raincourt, ministre de la Coopération, mardi matin sur RFI.
Imposer la charia
Car
l'objectif du groupe islamiste Ansar Dine est différent de celui du
MNLA. Il ne se bat pas pour l'indépendance de l'Azawad, mais pour
imposer la charia dans l'ensemble du Mali. On peut donc craindre qu'il
ne veuille poursuivre sa chevauchée vers Bamako, s'il parvient à
s'emparer des villes de Mopti et de Ségou. Dans la capitale, des
prêcheurs wahhabites - encore peu nombreux - s'emploient déjà depuis
plusieurs années à convertir de jeunes musulmans au fondamentalisme
saoudien. Des cabarets ont été vandalisés, et quelques femmes portent
déjà le niqab.
Reste à savoir si l'armée malienne restera
l'arme au pied comme dans le nord du pays. Ou si les 2 000 hommes que la
Cédéao (Communauté des États de l'Afrique de l'Ouest) veut mobiliser
pour éventuellement chasser la junte, qui a pris le pouvoir le 22 mars
(et non les islamistes), pourraient intervenir. Ce serait une première.
Quant à la seconde interrogation, alliance ou rivalité entre
les mouvements rebelles, elle semble trouver une réponse inquiétante
deux jours après la prise de Tombouctou. Dimanche, celle-ci a été
l'oeuvre des Touaregs du MNLA. Mais, lundi, les islamistes d'Ansar Dine,
apparemment renforcés par des éléments d'Aqmi, l'aile maghrébine
d'al-Qaida, sont arrivés à leur tour dans Tombouctou, la ville sainte.
Ils se sont installés dans un des deux campements de l'armée malienne
récupérés par le MNLA. Les indépendantistes touaregs ont dû décamper et
laisser la place aux islamistes, qui ont hissé le drapeau noir des
salafistes à la place du leur. Ils n'avaient plus rien à dire.
Grande tolérance
Pour
se faire accepter et imposer leur mode de vie rigoriste dans une
société touarègue à la fois traditionaliste et ouverte, les islamistes
ont distribué à la population des vivres réquisitionnés dans les locaux
de la Croix-Rouge. Leur chef, Iyad Ag Ghaly, a rassemblé les imams de la
cité pour obtenir leur collaboration dans l'application des nouvelles
règles du jeu salafiste.
Il va probablement y parvenir. "Il
est le premier à avoir pris les armes lors de la rébellion touarègue des
années 1990. C'est aussi le premier à avoir fait la paix, contre vents
et marées, et contre l'avis d'une partie de ses hommes. Il est devenu un
chef respecté et craint", écrit le journaliste malien Serge Daniel dans
l'excellent livre Aqmi, qu'il vient de publier chez Fayard. Iyad
Ag Ghaly a aussi servi d'intermédiaire avec Aqmi lors de la libération
de touristes européens enlevés en Algérie en 2003. Avant de repartir au
combat en 2006. Son alliance actuelle avec Aqmi ne présage rien de bon
pour le Mali, hier terre de grande tolérance.
MIREILLE DUTEIL le point