Les Coptes d'Égypte accusent l'armée de «massacre»
Au moins 24 chrétiens ont été tués dans la répression d'une manifestation au Caire.
«C'est le pire jour de ma vie.» Il a la voix blanche et le regard égaré de celui qui en a trop vu. Depuis plus de dix ans qu'il se bat pour les droits des minorités en Égypte, le militant des droits de l'homme Hossam Bahgat a été témoin de bien des horreurs. Mais en sortant de l'hôpital copte du Caire, où ont été transportées de nombreuses victimes des violences qui ont éclaté dimanche soir pendant une manifestation de Coptes, c'est un homme sous le choc qui témoigne. Sans épargner aucun détail, il raconte les corps affreusement mutilés, broyés, décapités par des blindés. Le bilan officiel fait état de 24 morts et de centaines de blessés, mais des témoins disent avoir compté jusqu'à quarante corps dans le seul hôpital copte.
Les Coptes d'Égypte accusent l'armée de «massacre»
«Une boucherie»
La manifestation de plusieurs milliers de chrétiens avait pourtant commencé pacifiquement dans le quartier de Choubra, au nord du Caire. Les protestataires entendaient dénoncer la mollesse de la réaction des autorités après l'incendie d'une église près d'Assouan, dans le sud du pays, et réclamer des droits égaux pour tous les citoyens. Mais devant la télévision d'État, la situation a soudain dégénéré. «Les manifestants étaient contenus par un important cordon policier, dans le calme, quand des militaires sont brutalement intervenus pour les disperser», raconte Mohammed, employé d'une chaîne de télévision privée dont les bureaux surplombent la scène. «Des coups de feu ont éclaté. Je ne sais pas qui tirait sur qui, mais les tirs se sont intensifiés et des véhicules blindés de l'armée ont foncé dans la foule. Ça a été une boucherie. On a ramassé des corps jusque dans la cage d'escalier de notre immeuble.»
Le Conseil suprême des forces armées (CSFA), dirigé par l'ancien ministre de la Défense de Hosni Moubarak, a accusé les Coptes d'avoir tiré les premiers sur les militaires et tué trois appelés, une information démentie par plusieurs médias égyptiens. L'Église copte a par la suite mis en cause des «inconnus infiltrés», attisant la colère des milliers de fidèles rassemblés lundi à la cathédrale du Caire pour les funérailles. Alors que les militaires ont interrompu dès le début des violences les retransmissions des chaînes privées, la télévision d'État a retrouvé ses réflexes de propagande des heures les plus sombres de la révolution, incriminant des «mains étrangères» et appelant les Égyptiens à protéger les soldats contre leurs agresseurs.
«Ambiance de pogrom»
Les affrontements se sont poursuivis pendant des heures entre manifestants coptes, rejoints par des musulmans, et les forces de l'ordre soutenues par des civils. Parmi eux, des «baltageyas», ces hommes de main payés pour effectuer la basse besogne, et des groupes de jeunes qui scandaient la «ilaha illallah» («il n'y a d'autre Dieu qu'Allah») et d'autres slogans religieux. «C'était une ambiance de pogrom, c'est presque un miracle que ça n'ait pas dégénéré davantage», soupire Paul Geddaï, un graphiste copte.
De nombreux commentateurs relèvent que cette flambée de violence intervient alors que les généraux au pouvoir, confrontés à une vague de grèves et de mouvements sociaux, sont sous pression à l'approche des élections législatives, qui devraient débuter fin novembre.
Les anciens membres du parti de Hosni Moubarak menacent de semer le chaos s'ils sont exclus du scrutin, comme l'opposition le réclame. Les islamistes sont furieux de l'interdiction des slogans religieux pendant la campagne. Quant aux libéraux, ils réclament un transfert rapide du pouvoir aux civils. L'armée, qui bénéficie malgré tout d'un large soutien dans la population, avait ainsi fait dimanche une concession en annonçant l'abandon des procès de manifestants devant les tribunaux militaires. Mais elle est revenue lundi sur sa décision. Selon un membre de la Coalition des jeunes de la révolution, «le CSFA a ainsi envoyé un message clair: soit on accepte qu'il organise la transition selon ses règles, soit il reste aux affaires».
PAR: LE FIGARO
PiccMi.Com - La Rédaction