Cela a été une expérience éclairante d’échanger avec le site Vineyard Saker. J’espère que cela vous intéressera.
Cette interview a été publiée le 3 décembre 2009 sur ce site, sous le titre : Gilad Atzmon : « L’éthique et la moralité sont bien plus cruciales que n’importe quelle décision de l’Onu »
C’est pour moi un immense plaisir que de partager avec vous la transcription d’une interview via e-mail que j’ai réalisée récemment avec Gilad Atzmon. J’ai découvert pour la première fois le musicien de jazz Gilad il y a de cela quelques années, à l’époque je jouais moi-même de la guitare de jazz (au passage, je signale que j’ai récemment écrit une critique de son dernier album. Ce n’est que par la suite que j’ai pris connaissance de son engagement politique. Ayant lu, depuis lors, le maximum de ses articles auxquels j’ai pu accéder, je considère aujourd’hui que Gilad Atzmon est l’un des militants politiques les plus intelligents, les mieux informés et les plus clairvoyants qui aient jamais été. Ce que j’aime et respecte le plus, chez Gilad, c’est son engagement absolu envers la vérité et sa détermination tout aussi irréfragable de dire aux pouvoirs leurs quatre vérités. Je commence tout juste à imaginer la haine au vitriol que Gilad suscite chez les cinglés sionistes qu’il dénonce sans relâche.
The Saker
VS : Deux grands intellectuels ont dernièrement émis des arguments très forts contre le soi-disant « droit à l’existence » d’Israël. L’argument de Norman Finkelstein, à cet effet, est simple, et il n’en est que plus puissant. Il dit que la communauté internationale, via l’Assemblée générale de l’Onu et la Cour Internationale de Justice, ont d’ores et déjà décidé de ce que devrait être la solution à ce conflit : deux Etats, dans les frontières de 1967, vivant côte à côte, les réfugiés étant autorisés à rentrer chez eux ou étant dédommagés. Il fait observer le fait que tous les pays du monde sont d’accord sur cette solution, sauf Israël, les Etats-Unis et quelques minuscules îles du Pacifique Sud. Il n’affirme pas qu’il s’agisse là de la meilleure solution, mais il dit que c’est la seule solution faisable. Par conséquent, il rejette la solution « à un seul Etat », qu’il considère irréaliste.
Gilad ATZMON : De manière générale, je m’efforce d’éviter tout débat ayant d’aussi loin que ce soit un rapport quelconque avec ce discours sur la résolution du conflit. J’évite de débattre de cette question pour plusieurs raisons. Je ne vis pas dans la région, et il ne m’appartient donc pas de décider à la place des Palestiniens quel pays ils doivent avoir, ni derrière quelle forme de résolution du conflit, derrière quel arrangement politique ou derrière quelle résolution ils doivent se ranger. Toutefois, permettez-moi de saisir l’occasion de suggérer l’idée que la « solution à deux Etats » ne règle en rien le problème palestinien. Elle est impraticable, car les Israéliens ne laisseront jamais entrer des réfugiés sur leur territoire, à l’intérieur de leur Etat-sthetl. Mais, surtout, le droit au retour, c’est-à-dire le droit pour tout un chacun de vivre dans son pays, ne relève certainement pas de décisions de la communauté internationale ou de décisions juridiques. De fait, il s’agit d’un droit moral. Et en ce qui me concerne, en tant qu’individu, l’éthique et la moralité sont bien plus cruciales que toutes les résolutions que peut bien adopter l’Onu, qui sont toutes prises par des politiciens sionisés et des diplomates corrompus.
VS : Shlomo Sand a déclaré récemment que « même l’enfant né d’un viol a le droit de vivre. Certes, 1948 fut un viol, et ce viol a donné naissance à Israël, mais Israël est aujourd’hui une réalité, que l’on ne saurait nier ».
GA : Il serait fort difficile de cacher le fait que l’ « enfant du viol » est en train de vivre sur une terre volée. Il est impossible de nier que le fait que l’ « enfant » a désormais plus de soixante ans, mais qu’il n’en reste pas moins mû par un zèle criminel. L’ « enfant » (Israël) n’a pas encore intégré son crime originel. En fait, l’ « enfant du viol » a grandi : il est devenu un père violeur, puis un grand-père violeur...
VS : Je relève deux traits fondamentaux, dans ces arguties. Tant Finkelstein que Sand acceptent fondamentalement l’autorité qu’est censée avoir eu l’Onu pour créer un Etat juif en Palestine, et tant Finkelstein que Sand semblent croire que la nature fondamentale dudit Etat n’aurait aucune implication dans la question de la légitimité de son existence. Toutefois, la création d’un Etat - d’un quelconque Etat - en Palestine sans avoir consulté la population locale me semble violer le principe du droit à l’autodétermination ?..
GA : Vous avez absolument raison. Toutefois, je ne suis pas aussi fasciné que cela par le « droit à l’autodétermination », car ce droit a été exploité par le projet nationaliste juif durant plus d’un siècle. Pour des raisons qui n’appartiennent qu’à lui, le juif nationaliste est persuadé qu’il a le droit de s’autodéterminer sur le dos d’autres que lui-même...
VS : Le principe du droit international selon lequel aucun territoire ne peut être légitimement acquis au moyen de la guerre semble indiquer que seules les frontières israéliennes de 1948 pourraient avoir un fondement légal et que même dans ce cas, ce fondement serait extrêmement ténu, car ces frontières ont été décidées d’un commun accord, après un long processus de négociations, avec les pays arabes voisins, et non pas avec une quelconque instance représentant les Palestiniens ?
GA : Ah bon, vous croyez ? Après soixante ans de barbarie israélienne et l’échec total du droit international à soutenir les Palestiniens, je n’attends plus rien d’Israël et de la communauté internationale, c’est fini. Je suis persuadé que les Palestiniens vont se libérer. Israël joue les prolongations. C’est décidé : je consacre mon action intellectuelle au soutien à la résistance palestinienne.
VS : Une autre chose m’inquiète, c’est le fait qu’en envisageant une solution au conflit du Moyen-Orient (et ce terme de conflit est inapproprié), ni Finkelstein ni Sand ne tiennent compte de la nature de l’ « Etat juif » autoproclamé. On a l’impression qu’ils parlent d’un pays comme la Belgique ou comme l’Espagne. Mais Israël est un pays qualitativement différent : c’est le dernier pays ouvertement raciste sur notre planète ; il est fondé sur une mythologie que de nombreux auteurs (comme Garaudy ou Sand) ont démystifiée.
GA : Israël n’est pas seulement raciste ; Israël est aussi nationaliste et expansionniste, assassin et, plus préoccupant que tout, c’est un pays démocratique : chaque Israélien est, à la base, complice des crimes perpétrés par son pays.
VS : Israël est aussi l’Etat super-terroriste de la planète, qui est en train de procéder à un génocide à bas bruit contre les Palestiniens et qui est un pays qui a totalement rejeté toute sorte de respect des lois du droit international, et même d’un comportement civilisé minimal. Qu’on l’examine d’un point de vue légal ou moral, l’existence d’un Etat raciste tel qu’Israël est une monstruosité, c’est un malheur pour l’ensemble de l’humanité. Aussi, même si un enfant né d’un viol a le droit de vivre, cela signifie-t-il que cet enfant étant devenu adulte a-t-il toujours un tel « droit » s’il est devenu un assassin de masse adorateur de lui-même ? Il est évident que les seuls personnes qui aient un droit à décider si une solution est ou non acceptable, ce sont les Palestiniens, et eux seuls. Mais sans préjuger de ce qu’ils pourraient décider, que pensez vous des arguments mis en avant par Finkelstein et Sand, et que pensez-vous de la question du soi-disant « droit à l’existence » d’Israël ?
GA : Je suppose que tout un chacun, dans la région, a le droit de décider. Mais les Israéliens ont perdu la bataille. Ils ne sauraient dicter une solution. Je suis d’accord sur le fait que toute nation devrait avoir le droit d’exister. Toutefois, ce droit ne peut en aucun cas être célébré au détriment d’autres nations ou d’autres personnes.
VS : Vous dites que « les Israéliens ont perdu la guerre ». Pourquoi ? Ne sont-ils pas en train de réussir, au contraire, leur génocide à bas bruit des Palestiniens ?
GA : De fait, les Israéliens se rendent bel et bien compte du fait que la mise en pratique de mesures génocidaires est quelque chose de contreproductif. Israël se rend bien compte du fait que son projet de hasbara, de bourrage de crânes, est en train de s’écrouler, en raison de ses tactiques inacceptables. Certains de ses ministres et de ses responsables militaires encourent le risque d’être arrêtés à l’étranger. A tout le moins, le mouvement palestinien, dont le Hamas, a acquis énormément de légitimité durant, et après l’opération Plomb Fondu.
VS : Les Etats-Unis d’Obama soutiennent au moins autant Israël que le faisait Bush, même si la rhétorique d’Obama est quelque peu différente... ?
GA : Je n’en suis pas si sûr. A suivre de près les médias et d’autres sources, je retire une impression différente de la vôtre. Israël semble se demander si l’administration Obama est du lard ou bien du cochon. Toutefois, Obama n’est pas déterminant, dans cette question. Il a été élu par le peuple américain pour diriger la nation américaine, et non pas pour libérer le peuple palestinien. Le peuple palestinien se libèrera par lui-même, avec ou sans Obama. Si Obama réussissait à retirer les soldats américains de l’Irak, de l’Afghanistan et du Pakistan, cela représenterait déjà un pas en avant considérable.
VS : A rendre les choses encore pires, Israël menace aujourd’hui ouvertement l’Iran d’une guerre. Et vous dites vous-mêmes que cette politique jouit du soutient de la majorité de l’opinion publique israélienne. Où voyez-vous des signes d’une défaite d’Israël et quel genre de scénario envisagez-vous, qui rendrait cette défaite irréfutable ?
GA : Je vois dans le mur (de Sharon) l’aveu par les Israéliens eux-mêmes du fait qu’Israël est une entité apeurée. Israël reconnaît que le temps joue contre lui. Cela, en soi, suffit à générer une panique totale. Ils n’ont aucune solution à long-terme à leur portée.
VS : A propos de l’opinion publique israélienne, je voulais vous poser une question toute simple : qu’est-ce qui cloche, chez eux ?
GA : Permettez-moi de vous répondre sans ambages que manifestement, il y a quelque chose qui ne va pas. Mais de quoi s’agit-il ? Je n’en sais rien. Je consacre énormément de ma propre énergie à expliquer les symptômes. Quelle est exactement la maladie, je n’en sais rien précisément. Mais je subodore que cette maladie se situe entre trois éléments : le suprématisme, l’élection et le narcissisme.
VS : Pourtant, les Israéliens sont vraisemblablement « des gens comme tout le monde », non ?
GA : Eh bien, en réalité, ça n’est pas clair. L’endoctrinement sioniste peut tout aussi bien faire d’eux une collectivité très dangereuse, bien plus dangereuse que tout ce avec quoi nous sommes familiarisés.
VS : Certes. Pourtant ils soutiennent manifestement le génocide, les violations flagrantes des droits de l’homme, les violations des lois de la guerre, l’idéologie raciste (le fameux « Etat juif »). Quelles sont les racines de tout ce mal ?
GA : Cela doit avoir quelque chose à voir avec leur interprétation séculière de la Bible, et à leur adoption de la religion holocaustique pour précepte essentiel... ?
VS : Comment des gens qui ont émigré en Israël du monde entier, et dont on peu supposer qu’ils ont été éduqués dans des circonstances extrêmement diverses, soient ainsi unanimes à produire une idéologie raciste, auto-adoratrice et parfaitement inhumaine ?
GA : Là, vous tapez probablement sur le bon clou. Dès lors que vous êtes sioniste, peu importe d’où vous sortez. Vous devenez quelqu’un de possédé, de totalement en proie au désir de vengeance. Vous n’avez même pas à être juif. Comme nous le savons, beaucoup des nouveaux immigrants russes en Israël ont très rapidement adopté les idées de droite les plus extrémistes. En dépit du fait que beaucoup d’entre eux n’étaient absolument pas juifs.
VS : Le rabbin Yeshaiyahu Karelitz a dit un jour que « la charrette des juifs laïcs est vide » et Shlomo Sand, qui le cite, dit qu’il est d’accord avec lui. Partagez-vous vous aussi cet avis ?
GA : Assurément. Mais les laïcistes et les nationalistes s’arrangent très bien pour remplir la boîte vide avec un fatras de contenus phantasmatiques et imaginaires. Comme vous le savez sans doute, j’affirme que le marxisme juif et l’antisionisme juif ne sont pas différents, en tant que catégories, du sionisme. Les premiers, comme celui-ci, sont en effet conditionnés de manière tribale, et non pas mus par l’universalisme.
VS : Selon vous, quels traits nationaux, ou quel éthos, les juifs ont-ils en commun, qui les distingue(raie)nt des non-juifs ?
GA : La souffrance ; ils sont amoureux de leur legs de souffrance. C’est là probablement la raison pour laquelle le chercheur israélien Yeshayahu Leibowitz a suggéré l’idée que la religion holocaustique est la nouvelle religion juive. Toutefois, c’est là précisément le point où la tragédie juive trouve son origine. La religion holocaustique manque de bonté, de miséricorde ou de douceur. C’est à travers la vengeance et le narcissisme qu’elle offre le salut.
VS : Si l’on considère que la plupart des juifs se déclarant tels ne sont pas religieux, comment le judaïsme rabbinique a-t-il pu définir, ou déterminer, leur identité ?
GA : Mais le judaïsme rabbinique ne fait pas cela... Les juifs laïcs se définissent par l’absurde. Au lieu d’être définis par ce qu’ils sont, ils sont définis par ce qu’ils ne sont pas. Alors qu’un juif observant est défini par son système de croyance, par le fait qu’il respecte les lois halachiques, qu’il respecte le repos du shabbat, etc., le juif laïc se défini par un ensemble de négations : il n’est pas un juif religieux, mais il n’est pas pour autant un goy ; il n’est ni Américain, ni Anglais, ni Français. Le juif laïc émancipé ne se définit pas par des qualités positives, mais bien par divers jeux de négations.
VS : Quel est donc, alors, le contenu positif de la conscience d’être juif, et comment celle-ci se traduit-elle dans le désir, soit de vivre dans un pays raciste et génocidaire, soit de soutenir un tel pays, fusse de loin ?
GA : Un contenu positif est une notion on ne peut plus relative. Je suppose que le nationalisme juif, de gauche, de droite et du centre, peut être perçu comme une aspiration vaine et futile à une quelconque forme d’authenticité... ?
VS : Une dernière question : vous affirmez que les Palestiniens vont se libérer par eux-mêmes - de quelle manière, selon vous, cela se produira-t-il ? Pensez-vous qu’à l’instar des Blancs sud-africains, les juifs israéliens finiront par prendre conscience du fait que la nature raciste de leur régime politique est immorale et qu’ils « changeront de camp », ou bien alors que, comme dans le cas de l’Algérie, les colonisateurs devront partir en empruntant des bateaux ?
GA : Non, je ne pense pas que les Israéliens en viendront jamais à reconnaître l’immoralité qui est la leur. L’introspection est totalement étrangère à la philosophie et à l’identité juives, tant religieuses que séculières. Je pense qu’Israël sera vaincu et contraint de se plier aux faits sur le terrain. Ils sont en train de devenir la minorité. Le temps est le pire ennemi d’Israël.
Seules les communautés juives orthodoxes sont à même de sauver les Israéliens d’une catastrophe démographique à court terme. Apparemment, l’Israélien en veut plus à ses frères orthodoxes qu’aux Palestiniens. Israël est une entité isolée, dans une région qui a de plus en plus de mémoire et qui a de moins en moins tendance à pardonner. Israël est empêtré avec ses voisins. A un certain moment, il ne sera plus à même de sauvegarder sa sécurité par sa politique de flicage intensif : c’en sera fini de lui.