Il a disparu le 22 octobre dernier, jour où il a probablement été arrêté, quoiqu’en disent les forces de sécurité tunisienne, coutumières de la dénégation lors de détentions illégales. La garde à vue ne pouvant dépasser six jours il aurait dû être relâché le 28, ou bien présenté devant un juge d’instruction et quoiqu’il en soit, sa famille aurait dû être informée. Il y a fort à craindre qu’il ne soit détenu au secret et torturé.
Lui, c’est Mohammed Soudani, un militant de l’Union Générale des Étudiants de Tunisie (UGET). Sa famille et son avocat n’ont pu obtenir la moindre information à son sujet depuis sa disparition. Le soir du 22 octobre, Mohammed Soudani avait téléphoné à ses avocats et amis en leur disant que de nombreux agents des forces de sécurité se trouvaient devant l’Hotel Africa, où il venait de rencontrer des journalistes et leur avait déclaré que s’il n’y avait pas de nouvelles de lui après 22 heures, cela signifierait probablement qu’il avait été arrêté. Depuis lors il est injoignable. Dès le lendemain, une plainte a été déposée auprès du procureur de Tunis concernant sa disparition.
Mohammed Soudani a été renvoyé de l’université en 2007 en raison de ses activités au sein de l’UGET. “Lors d’une entrevue en octobre 2009, il a indiqué à Amnesty International qu’il avait déjà été arrêté le 29 juin 2007 et détenu pendant douze jours – période au cours de laquelle il disait avoir été torturé –, puis condamné à six mois de prison avec sursis. Il a également déclaré qu’il avait été de nouveau détenu pendant six jours en octobre 2008 et qu’on l’avait alors déshabillé et battu.
Mohammed Soudani a été jugé à plusieurs reprises et a purgé une peine d’emprisonnement de deux mois. Il pense que les poursuites engagées contre lui sont liées à ses activités de militant pour l’UGET.”
En somme, toute une vie de luttes et de répression,-on se souvient notamment de sa très longue grève de la faim menée en 2009 et à laquelle il avait dû mettre un terme, sans obtenir gain de cause.
Elles sont deux à l’avoir vu quelques instants avant sa disparition le 22 octobre. Elles, ce sont Marie-Pierre Olphand, journaliste à RFI et Ramatène Aouaitia, journaliste à Radio Monte Carlo Doualiya. L’une et l’autre se souviennent de l’omniprésence policière. Marie-Pierre Olphand :
“Je ne sais pas si Mohammed Soudani était suivi mais nous, journalistes nous l’étions par deux agents en civil toute la journée. J ’ai prévenu Mohammed Soudani dès son arrivée à notre point de rendez-vous pour qu’il le sache. Nous avons traversé ensemble l’avenue Bourguiba et sommes allés à l’hotel Africa, pour discuter dans le hall, sans volonté aucune de nous cacher. Il y avait probablement nos agents dans les environs, et peut-être d’autres en raison de la présence du ministre de la Justice et des droits de l’homme qui donnait à 18h une conférence de presse au même Hotel“
La journaliste de RFI n’a pas eu le temps de l’interviewer ce jour-là mais avait prévu de le revoir le samedi suivant.
“J’ai dû rester 15 minutes avec lui pas plus et je l’ai laissé avec ma consoeur Ramatene Aouaitia de Monte Carlo Doualiya, la filiale arabe de RFI. Elle l’a interviewé en arabe, c’était entre 17 et 18h, le jeudi 22 octobre“*
Ramatene Aouaitia confirme et précise que son reportage a été diffusé le 25 au matin.
Il est donc avéré que ce n’est pas la diffusion du reportage qui a entraîné l’arrestation, toutefois Ramatène Aouaitia tient à préciser que ” lors de l’interview à l’hôtel, il y avait à proximité de nous dans un fauteuil trois hommes qui ont entendu ce que Mohammed disait parce qu’il parlait sous l’émotion en haussant un peu le ton. Dans ses propos, il critiquait ouvertement le système en Tunisie“*. A l’issue de la conférence de presse à l’hôtel Africa, Marie-Pierre Olphand a retrouvé un Mohammed Soudani visiblement inquiet dans le hall de l’hôtel Africa et elle lui a proposé de l’accompagner avec un autre journaliste français jusqu’à ce qu’il se sente plus en sécurité. Ils se sont séparés à proximité de la gare de la place de Barcelone.
Marie-Pierre Olphand, une fois informée, n’a cessé d’alerter sur le cas de Mohammed Soudani :
“En tant que média français, nous avons alerté l’ambassade de France tout de suite, à Tunis. J’ai demandé à un haut cadre du RCD de se renseigner sur le cas de Mohamed Soudani, lors d’une conversation informelle. Selon Radhia Nasraoui, l’avocate de Mohamed Soudani, le bâtonnier a questionné le ministre de la Justice à ce sujet. Celui-ci aurait alors déclaré ne pas être au courant du cas cité. Nous avons fait état de la disparition de Mohamed Soudani à plusieurs reprises au moins sur RFI et nous continuerons à le faire dans les jours suivants. L’information a été donnée également sur Monte Carlo Doualiya“*
Même préoccupation chez Ramatène Aouaitia :
” J’ai pu témoigné du cas Soudani dans une émission de France 24 en arabe qui s”intitule le Club de la presse avec en duplex un journaliste de l’agence tunisienne de la communication extérieure (ATCE). Il a répondu en hurlant que tout ce que je disais était ridicule et il a parié que Mohammed Soudani allait apparaitre le lendemain sur France 24, comme par magie, Il a ajouté que j’étais “fan” des fictions policières“*
Luiza Toscane