Le ministre de l'education Nationale contre attaque sur ...

S.A., enseignante à Hammam-Lif, est une femme voilée. A la rentrée scolaire 2001-2002, la directrice de l’école a refusé de lui affecter un emploi du temps, tant qu’elle restera voilée.

Un bras de fer opposa l’enseignante à sa direction jusqu’à ce que le ministère de l’Education nationale statue sur son cas.

Devant les refus répétés de S.A. d’enlever son voile, elle fut déférée devant un Conseil de discipline qui, se basant sur la circulaire 102 de 1986, décida à l’encontre de l’enseignante une exclusion temporaire de trois mois avec privation de salaire. La décision fut signée par le Ministre de l’Education le 14 avril 2002. L’enseignante a été sanctionnée en vertu de la circulaire 102 de 1986 du ministère de l’Education relative à la tenue vestimentaire des agents et fonctionnaires du dit ministère.

La circulaire stipule notamment que les responsables des établissements scolaires se doivent d’inciter vigoureusement le corps enseignant et les agents de l’administration sous leur responsabilité à respecter dans leurs relations publiques les exigences de la loi régissant la fonction publique et à avoir une tenue vestimentaire correcte. Tenue qui ne doit pas insinuer ce qui est considéré comme extrémiste et qui ne doit pas déroger aux us et coutumes.

L’enseignante S.A. porta plainte devant le Tribunal administratif. Son avocate, Maître Saïda Akremi, demande à la Cour d’invalider la décision disciplinaire du ministre de l’Education et de considérer que la circulaire en question (102 de 1986) est anti-constitutionnelle et contraire aux conventions et traités internationaux car attentatoire aux libertés. En outre l’avocate de la plaignante estime que le Ministère commet un vice de forme en invoquant dans sa décision disciplinaire la circulaire 108 de 1981 du Premier ministère, car cela n’a pas été formellement signifié à sa cliente lorsqu’elle a été déférée devant le Conseil de discipline.

Le Ministère de l’Education nationale précise dans une note adressée au Tribunal administratif que l’enseignante S.A a refusé de se conformer à la circulaire 102 de 1986 et que ses absences se sont multipliées.

Suite à cela elle a été déférée devant le Conseil de discipline et a été sanctionnée en vertu de la circulaire 108 de 1981, de la circulaire 102 de 1986 et de la circulaire 35 de 2001 (cette dernière inclut les élèves dans les catégories auxquelles s’applique la circulaire 102 de 1986).

Pour mettre un peu de clarté dans cette série de circulaires, disons que c’est la circulaire 108 du Premier ministère qui cite nommément “l’habit sectaire” en référence au voile dit islamique.

L’affaire de l’enseignante S.A. a été jugée en première instance le 9 décembre 2006.

La Présidente de la Cour a estimé la plainte de S.A. recevable sur le plan de la forme ; quand au fond, la Cour a estimé que la circulaire 102 de 1986 a introduit une nouvelle règle relative à la tenue vestimentaire.

L’énoncé de cette nouvelle règle est trop vague et n’a pas été précisé par un texte de loi antérieur afin de définir ce que l’on entend par tenue vestimentaire extrémiste. Par conséquent, toujours selon la cinquième chambre du Tribunal administratif, cela donne un pouvoir d’appréciation exorbitant à l’administration, ce qui pourrait provoquer une atteinte aux libertés fondamentales garanties par la Constitution.

La Cour juge non recevable le rajout de la circulaire 108 de 1981 dans la note du ministère de l’Education nationale, car la plaignante n’a été déférée devant le Conseil de discipline qu’en vertu de la circulaire 102 de 1986. Tout ajout au premier acte est jugé non recevable par la jurisprudence. Ainsi la cinquième chambre n’a pas examiné la constitutionnalité de la fameuse circulaire 108 de 1981.

En conclusion la cinquième chambre de première instance du Tribunal administratif considère que la sanction dont a été victime l’enseignante S.A est illégale car fondée sur une circulaire anti-constitutionnelle.

Bien que ce jugement de première instance fût prononcé le 9 décembre 2006, il ne fut communiqué aux intéressés (la plaignante, l’enseignante S.A. et le Ministère de l’Education nationale) que tout récemment. Ajoutons pour clore la dimension juridique du dossier que le Ministère de l’Education s’est pourvu en appel.

Quant à l’enseignante S.A., elle a depuis 2002 regagné son poste. Elle porterait le foulard tunisien en lieu et place du voile (khimar).

Il n’est pas étonnant que ce jugement de première instance ait trouvé tant de publicité dans certains médias arabes et aussi quelques sites web tunisiens. Les milieux intégristes se sont félicité. D’aucuns ont cru que la circulaire 108 et 1981 a été jugée anticonstitutionnelle. Seulement la reconstitution précise des évènements, telle que nous avons tenté de la faire ci-haut, devrait modérer les ardeurs des uns et des autres.

La cinquième chambre de première instance du Tribunal administratif n’a pas statué sur la légalité, ou non, du port du voile mais sur la validité technique d’une sanction administrative. Même le fait de considérer la circulaire 102 de 1986 comme étant anticonstitutionnelle car pouvant permettre des atteintes aux libertés individuelles n’est pas un jugement politique,encore moins idéologique. La cinquième chambre n’a fait qu’exercer son droit d’apprécier la constitutionalité d’une circulaire. Il est vrai que cela est assez rare dans nos juridictions, mais la Constitution tunisienne, du fait de la séparation des pouvoirs, reconnaît aux cours ordinaires et administratives le droit de juger de la constitutionnalité des lois, que dire alors des circulaires!

La cinquième chambre a estimé que l’énoncé de la circulaire 102/86 est trop vague tout en introduisant une notion nouvelle : la tenue vestimentaire non extrémiste. Cette notion n’est pas adossée à une loi et permet un pouvoir discrétionnaire abusif.

Ensuite la Cour a estimé que le dossier du Ministère de l’Education est mal ficelé car il invoque dans sa note au tribunal de deux nouvelles circulaires (108 de 1981 et 35 de 2001) alors qu’elles n’ont pas été formellement signifiées à l’enseignante SA.

Enfin nous sommes à un jugement de première instance et tant que la Cour d’appel n’a pas rendu son verdict, nul ne peut parler d’une jurisprudence en la matière.

Maintenant et sans commenter le contenu du jugement, cette affaire n’est pas anodine dans ses significations. Si le cas particulier d’un litige ou un conflit doit rester la règle pour une Cour de justice, la société peut et doit s’interroger sur les règles éthiques et juridiques du vivre-ensemble.

Zyed Krichen