Le Pakistan face à ses démons

Un mois après le déclenchement de l'opération militaire contre les talibans de la vallée de Swat (nord-ouest), qui fut jadis un paradis touristique, Owais Ghani, le gouverneur de la province de la frontière du Nord-Ouest (NWFP) qui borde l'Afghanistan, a confirmé, dimanche 14 juin, que les opérations de l'armée étaient en passe de changer d'échelle ces prochains jours. "L'armée et les forces de sécurité ont reçu l'ordre de mener une offensive de grande envergure pour éliminer ces bêtes et ces tueurs", a-t-il déclaré en citant Baitullah Mehsud, le chef du TTP basé dans le Sud-Waziristan. Région d'où il prépare ses assauts et actions kamikazes dans le reste du pays. "Baitullah Mehsud est la racine du mal", a-t-il précisé.

Un élargissement de l'opération militaire en cours, au-delà de la vallée de Swat, faisait l'objet de nombreuses spéculations ces derniers jours à Islamabad. L'armée ira-t-elle jusqu'à frapper Baitullah Mehsud ? Ou se contentera-t-elle de consolider ses succès militaires à Swat et dans les districts voisins, une mission non achevée ? Il semble que le premier scénario est en train de s'imposer au sein de l'état-major de l'armée pakistanaise.

Fondé fin 2007 par Baitullah Mehsud, le TTP abrite de nombreux camps d'entraînement de djihadistes dans son fief du Sud-Waziristan, notamment des centres de formation pour les candidats aux attentats-suicides. Bien que l'enquête n'ait jamais abouti, M. Mehsud est soupçonné d'avoir commandité l'assassinat de l'ex-premier ministre Benazir Bhutto, fin décembre 2007, quelques semaines après son retour d'un long exil à Dubaï. La décision de s'attaquer à "la racine du mal" s'est imposée à l'état-major de l'armée après une série d'actions terroristes menée en riposte à l'offensive de Swat.

Vendredi 12 juin, un dignitaire religieux anti-taliban, Sarfrar Hussein Naeemi, a été tué par l'explosion d'une bombe dans sa mosquée de Lahore, le chef-lieu de la province du Penjab. Sarfrar Hussein Naeemi était connu au Pakistan pour sa vision modérée de l'islam. Il avait dénoncé les attentats-suicides comme "anti-islamique", s'attirant la haine des talibans. Son assassinat a suscité une profonde émotion à travers le pays. Il a été revendiqué par le TTP. Cette attaque s'inscrit dans une montée de la violence clairement orchestrée par les talibans. Le 9 juin, un véhicule bourré d'explosifs avait détruit un hôtel à Peshawar, le chef-lieu de la NWFP, faisant une dizaine de morts, dont trois étrangers. Ces derniers jours, l'armée a resserré son étau autour du Sud-Waziristan, conduisant notamment une opération dans le district voisin de Bannu. Au Waziristan, les autorités d'Islamabad peuvent compter sur le soutien de groupes talibans qualifiés de "progouvernementaux", tels ceux du mollah Nazir et de Gul Bahadur.

A l'automne 2008, ces derniers s'étaient rapprochés de Baitullah Mehsud afin de former une alliance vouée à combattre l'OTAN en Afghanistan. De nombreux analystes doutent toutefois de la réalité de cette alliance. L'attitude du mollah Nazir et de Gul Bahadur sera cruciale pour la réussite de l'opération contre la "racine du mal" envisagée par l'armée pakistanaise.Frédéric Bobin