Le président tunisien, Moncef Marzouki, souhaite relancer
la construction maghrébine. Il a annoncé, lors de sa récente visite en
Algérie, la tenue d'un sommet de l'Union du Maghreb arabe (UMA). Dans
la foulée, Rabat abritera, samedi 18 février, la réunion des ministres
des affaires étrangères des cinq pays maghrébins (Algérie, Maroc, Libye,
Mauritanie et Tunisie) qui plancheront sur les réalités et les
perspectives de l'unité maghrébine.
Fondée en 1989, en vertu du traité de Marrakech, l'UMA, un marché de
80 à 90 millions d'habitants, est paralysée par le conflit du Sahara
occidental. Le bon moment est-il venu pour le relancer ?
Pour Ali Bensaâd,
enseignant-chercheur à l'Iremam (Institut de recherches et d'études sur
le monde arabe et musulman) et spécialiste de géographie du Maghreb, "c'est bien le moment opportun de relancer
l'idée de la construction maghrébine, parce que la question
démocratique est au cœur de la construction de l'UMA, comme de tout
processus de construction supranationale". "Le Maghreb se
trouve plongé dans une séquence historique. Ce vent de changement, qui a
pris des tournures diverses, est une bonne opportunité pour l'UMA", renchérit Saïd Haddad, chercheur associé à l'Iremam et spécialiste en sociologie et sciences politiques.
Le fait que l'idée de relancer l'UMA émane du chef de l'Etat tunisien fait dire à certains que la Tunisie est en train de prétendre à un rôle qui ne correspond pas à sa stature réelle. Chose que les deux chercheurs récusent. "La Tunisie a montré le chemin depuis un an, je pense qu'elle peut se prévaloir de cette révolution qui a eu lieu depuis un an", dit Saïd Haddad. A ses yeux, "l'initiative de la construction du Maghreb des peuples doit venir de l'intérieur, sinon le Maghreb serait obligé de se remettre à d'autres puissances, notamment au Qatar, ce qui serait préjudiciable à l'idée même du Maghreb". Idem pour Ali Bensaâd, qui pense être "une bonne chose que l'initiative vienne de Marzouki, un chef d'Etat élu démocratiquement, qui ne devrait pas en principe être
enchaîné par les intérêts d'un clan. De plus, la Tunisie est un petit
pays qui n'a pas de prétention de leadership régional et donc ne suscite
ni crainte ni susceptibilité".
UN PAYSAGE MAGHRÉBIN CONTRASTÉ
Quelles chances pour que l'initiative de Marzouki aboutisse ? "La question se pose comme pour la question démocratique. Il y a un peu plus d'un an, personne n'a imaginé que puisse germer
la question démocratique au Maghreb. C'est la même chose pour la
construction maghrébine. C'est une aspiration des peuples. L'initiative
de Marzouki aura été utile, ne serait-ce que de mettre aux devants de la scène la question maghrébine, et de mettre devant leurs responsabilités des régimes dictatoriaux qui n'en veulent pas vraiment", admet le spécialiste.
Pour son collègue : "il y a une volonté des peuples qui ont les
mêmes aspirations ; mais les réflexes étatiques dans le domaine des
relations intermaghrébines demeurent en deçà des aspirations des
peuples". Le contraste qui caractérise le paysage actuel maghrébin
serait aussi déterminant dans l'aboutissement du processus d'intégration
maghrébine. Saïd Haddad l'explique : "D'une part, il y a certains
pays qui ont vu sous des modalités différentes, l'arrivée d'un personnel
politique renouvelé : le Maroc a un nouveau gouvernement, la Tunisie,
une nouvelle république, un nouveau gouvernement également et d'autre
part une Libye qui est au milieu du guet.
L'Algérie à la veille des législatives est, quant à elle,
relativement en retrait, face à tous ses bouleversements, comme en
témoigne sa gestion de la question libyenne où sa prudence, légitime à
certains égards, a parfois rimé avec l'immobilisme". Selon Ali Bensaâd, "les régimes marocain et algérien sont amenés à faire des concessions, sinon ce sera quelque chose qui les mettra très mal aise et les affaiblira devant leurs peuples". En reposant la question de l'unité maghrébine, la Tunisie fait avancer la question démocratique, souligne-t-il, en expliquant : "l'absence
de cohérence et de coopération maghrébine est aussi scandaleuse que
l'absence de démocratie. Aujourd'hui, les pays maghrébins sont dans un
système de rapport étoilé avec l'Europe. Chacun des pays entretient des
rapports, seul face à l'Europe. Les deux tiers aux trois quarts de leurs
échanges se font avec l'Europe, alors que seuls 5 % à 8 % des échanges
se font entre eux".
LE CONFLIT DU SAHARA : UNE PIERRE D'ACHOPPEMENT
Reste une pierre d'achoppement : le conflit du Sahara occidental. "La question du Sahara est le point nodal de la construction maghrébine. Marzouki a peut-être raison de dire qu'il faut mettre de côté la question du Sahara pour la régler plus tard et avancer sur des questions objet d'un accord", indique Saïd Haddad. "Les rivalités entre l'Algérie et le Maroc ne tiennent pas seulement de la prétention de chacun de jouer le rôle de puissance régionale. Cette rivalité fait partie des stratégies de pouvoir de chacun. Chaque partie cherche à cultiver une assabya nationale pour se légitimer par le danger fantasmé de l'autre", renchérit Ali Bensaâd. Selon son opinion : "des pouvoirs algérien et marocain démocratiques pourraient trouver des solutions, il y a des solutions de compromis possibles. Il faut faire comme l'Europe, au lieu de mettre en avant les aspects politiques, il faut mettre
en avant les intérêts économiques. Pour Saïd Haddad, la construction
maghrébine passe par le règlement de certains dossiers en suspens : "tout
d'abord, la libre circulation des personnes et des marchandises.
Ensuite, la lutte contre le terrorisme dans cette nouvelle méditerranée
qu'est la région sahélo-saharienne. C'est là aussi un point de blocage,
puisque le Maroc n'est pas associé aux initiatives régionales menées
par l'Algérie sur la question du terrorisme. Sans la résolution des
différends entre l'Algérie et le Maroc, la construction maghrébine sera
un vœu pieux", dit-il.
Ali Bensaâd rappelle que, comme le disait Moncef Marzouki lui-même à propos de l'Union pour la Méditerranée, en juillet 2008 : "On ne fait d'unions politiques négociées qu'entre des régimes démocratiques. Seuls de tels régimes, peuvent concéder des abandons de souveraineté et accepter librement des lois communes". Ce doit être, comme il l'avait alors dit, "l'affaire des sociétés civiles".
Hajer Jeridi
http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2012/02/17/la-tunisie-remet-la-construction-maghrebine-au-gout-du-jour_1645006_1466522.html#xtor=RSS-3208
Pourquoi dire le UMA le magreb arabe ? pourquoi pas Afrique du Nord ou Union Maghreb ? pourquoi exclure les berbère ?