La société saoudienne est soumise à un ensemble de lois, de règles et
de valeurs héritées de l’enseignement religieux. Cela donne un système
contraignant que la police religieuse, les institutions religieuses
officielles, l’école, l’université, l’appareil administratif et
judiciaire, ainsi que les médias imposent quotidiennement au citoyen.
Toutes ces instances cherchent à imposer par la force la religion
dominante. Ce régime de la vertu est en vigueur depuis des décennies
dans la “citadelle” de l’islam salafiste, mais les résultats sur le
terrain sont en parfaite contradiction avec les buts recherchés. La
société ne correspond que très relativement aux préceptes religieux :
la croissance économique, le développement humain et les données
sociologiques sont en total décalage avec les discours et les grands
idéaux au nom desquels le régime a été instauré. L’inadéquation du
système de valeurs a en outre ralenti le développement économique,
comparativement aux pays voisins du Golfe.
Le “tourisme matrimonial” se répand parmi les jeunesLongtemps, les femmes ont été interdites d’études. Aujourd’hui,
elles représentent certes 60 % des diplômés de l’enseignement
supérieur, mais elles ne sont qu’une minorité à travailler. En effet,
les règles religieuses privent la société de la moitié de ses
ressources humaines. Une de ces règles en particulier, à savoir
l’interdiction de la mixité des sexes, a d’autres conséquences. Elle
empêche les jeunes de percevoir la personnalité profonde de leur future
partenaire et les pousse à adopter des critères qui réduisent
pratiquement la femme à un objet. Voilà pourquoi beaucoup de femmes
sont considérées comme impossibles à marier, du reste, le phénomène du
célibat féminin est en forte progression. Il y a actuellement
1,5 million de femmes célibataires de plus de 35 ans. L’Arabie Saoudite
est aussi le premier pays du Golfe – et le deuxième du monde arabe –
pour ce qui est du taux de divorce, avec 60 % des mariages qui
échouent.
D’autre part, le “tourisme matrimonial” se répand parmi les
jeunes Saoudiens. Selon Abdallah Al-Hamoud, président de l’Association
de défense des Saoudiens vivant à l’étranger, les Saoudiens ont dépensé
des millions de riyals au cours des années 2007-2008 pour contracter
une dizaine de milliers de “mariages” à l’étranger. Les pays les plus
concernés seraient l’Egypte, le Maroc, la Syrie, le Yémen, l’Indonésie,
l’Inde et les Philippines. Il s’agit de mariages “à durée limitée”,
allant d’une semaine à un mois.
“Le but n’en est pas de fonder une famille, mais de trouver du plaisir”,affirme Abdallah Al-Hamoud. De son côté, l’ambassade d’Arabie Saoudite
à Jakarta a mis en garde contre la propagation de mariages “à terme”
entre Saoudiens et Indonésiennes. Elle a demandé que le Conseil des
oulémas saoudiens se prononce clairement sur le caractère illicite de
tels actes. Les responsables indonésiens soulignent quant à eux que
beaucoup de leurs compatriotes pauvres acceptent les propositions des
touristes du Golfe dans l’espoir de sortir de la pauvreté. Le
responsable local de l’association des Saoudiens à l’étranger, Faraj
Al-Dowssari, confirme les rapports publiés dans la presse indonésienne
sur la naturalisation de plus de 600 enfants, dont la plupart sont de
père saoudien inconnu.
L’hebdomadaire yéménite officiel
26 Septembre [publié par le
ministère de la Défense yéménite] rapporte que la présidente de l’Union
générale des femmes, Ramzia Abbas Al-Ariani, note qu’un grand nombre de
femmes yéménites sont abandonnées après consommation du mariage,
souvent enceintes, alors qu’elles ont parfois entre 15 et 18 ans. Les
abus dont les employées de maison sont victimes ont été maintes fois
condamnés. En 2008, le gouvernement indonésien en est venu à mettre un
terme à l’envoi de bonnes vers l’Arabie Saoudite.
Dans la société saoudienne, les entorses à la vertu sont
d’autant plus flagrantes que l’exigence de vertu est absolue. Le taux
de criminalité y est particulièrement élevé, avec 78 737 crimes
constatés en 2008, en augmentation de 14 % par rapport à 2007, dont
27 888 cas de viol ou de harcèlement. Et, selon le Pr Abdallah
Al-Rachid, la mémoire des téléphones portables saisis auprès des
adolescents est occupée à 70 % par des contenus pornographiques. Ces
deux dernières années, le pays a connu des faits divers terrifiants,
comme ce père de famille qui tue ses enfants devant leur mère, ce mari
qui écrase sa femme avec sa voiture ou le viol d’une femme devant ses
enfants par trois jeunes. Certes, les pays voisins connaissent des
crimes comparables, mais il n’en reste pas moins que le système de
valeurs saoudien n’en a pas fait un pays moins criminogène que les
autres.
Un véritable terrorisme intellectuel et psychologiqueLe dogmatisme religieux se caractérise aussi par le rejet de
toutes les différences. Ainsi, l’imam de La Mecque, Adel Kalbani, a
excommunié les chiites saoudiens. D’autres religieux ont fait de même
avec des écrivains et des intellectuels. Cet ostracisme constitue non
seulement un véritable terrorisme intellectuel et psychologique, mais
également un frein au développement humain et économique. Une société
qui considère que la religion lui fournit des vérités absolues est
condamnée à stagner.
Pour toutes ces raisons, les Saoudiens se rendent souvent à
l’étranger. Mahmoud Jaber, gérant d’un cinéma à Bahreïn, observe que
les Saoudiens forment 90 % de ses clients pendant les week-ends [il n’y
a pas de salles de cinéma en Arabie Saoudite]. A Dubaï, en 2003, les
Saoudiens représentaient 40 % des visiteurs du festival du shopping, où
ils ont dépensé près de 2 milliards de riyals [360 millions d’euros].
En 2005, le quotidien
Al-Riyadha publié une enquête selon laquelle près du quart de la population
avait passé l’été à l’étranger, pour y dépenser 20 milliards de riyals.
“Ailleurs, le temps passe agréablement et la liberté est tellement présente qu’on la sent même en dormant”, affirmait dans ce reportage un jeune Saoudien de 27 ans.
Ils s’installent aussi durablement à l’étranger. Dans un entretien avec
la chaîne d’information Al-Arabiya, la doctoresse Nadia Ba’ichn a
expliqué que des Saoudiennes diplômées en droit avaient ouvert une
dizaine de cabinets d’avocats au Koweït et à Bahreïn, alors qu’en
Arabie Saoudite ce secteur leur est interdit au nom de la religion.
“Les
hommes d’affaires sont partis, avec leurs capitaux ; ensuite, ç’a été
au tour des scientifiques et des technocrates. Ce qui est nouveau,
c’est l’augmentation constante de femmes qui s’installent dans les pays
voisins”, explique la journaliste Wafa Al-Dhoweian. Une Saoudienne
m’a raconté les tracasseries qu’elle subissait au quotidien dans son
pays d’origine. Elle songe à s’installer au Koweït, où elle pourrait se
déplacer en bus et en taxi, conduire sa propre voiture, boire un verre
dans n’importe quel café, jouir de tous ses droits civiques et sociaux,
et où elle serait considérée comme un être humain… à part entière.
- Citation :
- Purification
Sous le slogan “Participez avec nous à un site propre”,
NaqaTube traduit et retransmet en Arabie Saoudite le contenu de YouTube
dans une version expurgée, naqa signifiant “pur” en arabe , rapporte le
site Menassat.com.
Les vidéos perçues comme portant atteinte au royaume, aux jeunes et aux
citoyens saoudiens sont ainsi bloquées, et l’internaute saoudien n’y a
pas accès. Les critères selon lesquels un contenu est jugé inapproprié
ou offensant ne sont pas très clairs. Selon l’administrateur de
NaqaTube, le site aurait reçu 5 000 à 6 000 visiteurs depuis son
lancement, en juin 2009.